Originaire de Fourmies, Michel Jocaille, issu du milieu ouvrier a grandi dans le Nord. Rien ne le prédestinait à un parcours artistique et pourtant, Michel est fraîchement diplômé de l’école des Beaux-Arts de Tourcoing et a plein de projets en tête. Avec sa série «Fucking French Family» réalisée en 2013, le jeune artiste se met en scène. Il offre une interprétation très personnelle de photos de famille, tout en questionnant la construction de notre identité sociale et culturelle. On retrouve cet humour grinçant dans sa série «#BestHolidaysever» qui met en lumière les comportements de masse, à coup de "posts" et de "likes" de photos de vacances sur les réseaux sociaux. Michel s’offre un tour du monde en prenant la pose dans un panorama d’une sélection de paysages idylliques… sans oublier le clin d'oeil ironique. A découvrir le travail parodique et provocant de Michel Jocaille - des images qui renvoient indubitablement à nous, notre histoire et à la vie en société...
Quand avez-vous commencé la photographie… quel a été votre parcours ?
La photographie est arrivée assez tardivement. Je devais avoir 20 ans, je vivais dans un studio à Lille où je dormais sur une mezzanine en bois qui donnait une ambiance un peu chalet rustique affreux. C’est mon amie Clémentine qui m’a conseillée un jour d’y ajouter une touche à la Derrick. Quelques premiers achats à Emmaüs ont suffit à faire naître les premières photographies. C’était l’époque des premiers tests de lumières, de compositions, de décors, maquillages, costumes, accessoires… A vrai dire au début c’était juste pour s’amuser, mais c’est comme ça que je suis entré aux Beaux-Arts quelques années plus tard.
Si on revient sur vos mises en scène de la série "Fucking French Family"… Pourquoi avoir choisi l'autoportrait et la réinterprétation (très personnelle) des photos de famille ?
Je suis né à Fourmies, une ville au sud du Nord de la France où j’ai grandi dans un milieu ouvrier. J’ai mis pour la première fois les pieds dans un musée à l’âge de 16 ans, c’était le musée Matisse. Avec du recul aujourd’hui, je me demande encore comment je suis arrivé à être diplômé d’une école d’art puisqu’a priori je ne me destinais pas vraiment à devenir artiste. Mis à part un puzzle avec les montres molles de Dali,une assiette décorative en cuivre de l’Angélus de Millet ou une reproduction de la liseuse de Fragonard dans notre véranda, j’avais une approche de l’art assez rudimentaire. Cette Fucking French Family questionne la construction de notre identité sociale, culturelle et politique. Sommes-nous réellement conditionnés selon nos origines ? En utilisant l’autoportrait, je peux proposer une lecture de ces relations liées à notre patrimoine génétique et à notre héritage culturel.
Photos de famille - repas de famille Photos de famille - repas de famille
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre « mode opératoire », votre processus créatif (y compris le travail sur les décors et costumes) ?
Le processus est assez simple : une agrafeuse murale, du papier peint, une table en formica et quelques objets de décoration. Ensuite c’est un travail de composition. Par exemple, les objets sont mal placés, ils sont coupés, flous dans les premiers plans… C’est en référence à la photographie ratée, comme les photos de famille que l’on trouve dans nos albums.
Pour le reste, je me suis inspiré des maquillages de Cindy Sherman pour jouer sur des effets d’ombres et de volumes, j’y voyais un rapport à la peinture. Aussi, j’ai récolté pas mal de photographies et de VHS chez ma famille pour m’en inspirer, me rapprocher d’eux dans les attitudes, les traits de caractère… Ensuite j’utilise un studio avec des parapluies afin de lancer le tout sur Photoshop pour le photomontage !
Quelle place accordez-vous à l'approche sociologique dans la photographie ?
Je me suis intéressé de près à l’histoire de la photographie : de l’avènement des premiers congés payés avec la démocratisation des appareils jetables jusqu’à la création des albums que l’on trouve sur les réseaux sociaux ou les selfies, en passant par les projections de diapos de souvenirs de vacances à la maison. Il y a une évolution constante dans notre rapport à la pratique photographique. Aujourd’hui j’observe nos nouveaux comportements, je collecte des photographies que je trouve sur internet et je m’en sers pour créer. Récemment j’ai réalisé une édition d’une collecte photographique intitulée #selfiekoons, qui présente des selfies pris dans des oeuvres miroitantes de Koons trouvées sur instagram, Facebook et twitter. Cette collecte m’a permis ensuite de créer une pièce faite d’un miroir encadré sur lequel une image électrostatique a été fixée. Les jeux de transparence, de reflets et de mise en abîme dans ce miroir réinjecte sans cesse notre image et notre condition de photographe dans notre rapport à la consommation d’images.
On retrouve votre humour "grinçant" dans la dernière série "Best Holidays ever"… Pouvez-vous nous parler de la genèse de cette série ?
Ironie du sort. L’été dernier je travaillais sur un site avec des familles qui ne partent jamais en vacances, j’étais bloqué aussi. Lorsque je scrollais sur Facebook, je voyais des amis et des amis d’amis qui voyageaient vers des destinations de rêve. Comme un geek un peu maladroit fixé sur son écran, j’ai décidé à mon tour de voyager avec eux en pratiquant l’incrustation. Ca me rappelle des vidéos où je m’incrustais en arrière plan dans des extraits de films que je trouvais sur Youtube comme Matrix ou Armageddon lorsque j’étais étudiant !
Quels stéréotypes parodie-t-elle… met-t-elle en lumière ?
Avec les réseaux sociaux, on se retrouve avec des photographies de voyages qui finalement veulent dire « Hé, voyez où je suis, regardez moi, ma vie est formidable ! ». Le paysage ne sert plus qu’à planter un décor pour la photo et n’invite plus à la contemplation. De clics en clics, on finit par voir des choses sans plus vraiment les regarder. Kant parlait de la contemplation en tant qu’expérience esthétique simple, comme lorsque l’on regarde un coucher de soleil ou un bouquet de fleurs. Une photographie de paysage devrait permettre ceci, mais sa lecture dans ces conditions se retrouve souvent parasitée par nos interventions egocentrées. Ma dernière création est une vidéo Welcome to virtuality où j’ai repris des morceaux de paysages trouvés sur Facebook pour en faire un collage numérique. Un peu comme un pinceau sur la toile, une camera se balade dans ce paysage irréel, en se cognant dans les coins d’un nouvel espace virtuel. J’ai proposé à Chevaline, une amie musicienne lilloise de gérer la bande son pour créer une ambiance aérienne et mystérieuse qui invite à la contemplation.
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